On parle souvent du « chemin de Compostelle » comme s’il n’y en avait qu’un. En réalité, c’est une toile d’itinéraires qui traversent la France et l’Espagne, avec des profils très différents. Certains sont parfaits pour marcher léger, d’autres plus roulants, pensés pour le vélo. Le problème, c’est de choisir le bon pour ton projet, ton niveau et ton planning.
Je te propose un tour d’horizon des principaux chemins, avec un prisme simple : qu’est-ce que ça donne à pied, et qu’est-ce que ça donne à vélo, en vrai, sur le terrain.
Quelques repères avant de choisir ton chemin
Avant de rentrer dans le détail des itinéraires, pose-toi ces questions :
- Combien de temps tu as ? 1 semaine, 15 jours, 1 mois ?
- Tu pars de chez toi ou tu prends un train/bus pour rejoindre un départ ?
- Tu es plutôt bitume, pistes roulantes, ou sentiers parfois techniques ?
- Tu veux du monde (ambiance pèlerins) ou du calme (mode rando solo) ?
- Tu dors en dur (gîtes, refuges) ou en autonomie (tente, bivouac) ?
En fonction de ça, certains chemins vont s’imposer d’eux-mêmes, surtout si tu es à vélo. Tout n’est pas adapté au VTT chargé, encore moins au vélo de route.
Les grandes familles de chemins de Compostelle
Côté France, on parle souvent de quatre grandes voies historiques :
- La Via Podiensis (GR65) : du Puy-en-Velay à Saint-Jean-Pied-de-Port.
- La Via Turonensis : de Paris (ou Tours) vers Bordeaux puis les Landes.
- La Via Lemovicensis : de Vézelay vers Limoges puis le Pays basque.
- La Via Tolosana : d’Arles vers Toulouse, Lourdes, puis le Somport.
En Espagne, deux grandes épines dorsales :
- Le Camino Francés : Saint-Jean-Pied-de-Port – Roncevaux – Burgos – León – Santiago.
- Le Camino del Norte, plus côtier, et ses variantes (Primitivo, etc.).
On va voir ce que ça donne, un par un.
Via Podiensis (GR65) : la classique française, surtout à pied
Tracé : Le Puy-en-Velay → Saint-Jean-Pied-de-Port
Distance : environ 750 km
Dénivelé : 15 000 à 18 000 m D+ (selon les variantes)
Balise : GR65, très bien marqué
À pied, c’est clairement la star. Gîtes nombreux, balisage nickel, ambiance pèlerins dès le départ. Tu peux avancer à 20–25 km/jour, soit environ 4 à 5 semaines jusqu’aux Pyrénées.
À vélo, c’est une autre histoire :
- Les sentiers sont souvent étroits, pierreux, avec des montées sèches (Aubrac, Quercy, Pays basque).
- Chargé en bikepacking ou avec sacoches, tu risques de porter le vélo régulièrement.
- Pour un VTC ou un gravel, certaines sections sont carrément pénibles.
En pratique, beaucoup de cyclistes font une version « route » parallèle au GR65 :
- En suivant les petites départementales qui doublent le tracé (Ex : Conques, Figeac, Cahors, Moissac).
- En rejoignant parfois le GR pour les tronçons roulants, mais sans se forcer.
À mon sens, si tu es marcheur débutant avec du temps, c’est un excellent choix. Si tu es cycliste, c’est jouable mais à adapter fortement. Compte 60–80 km/jour en vélo de rando, soit 10–12 jours pour le Puy → Saint-Jean.
Camino Francés : l’autoroute des pèlerins, surtout à vélo
Tracé : Saint-Jean-Pied-de-Port → Roncevaux → Pamplona → Burgos → León → Santiago
Distance : environ 780 km
Profil : alternance de montagnes, plateaux (Meseta) et collines galiciennes
C’est l’itinéraire « carte postale » : villages tous les 10–15 km, albergues à la chaîne, bars, fontaines, supermarchés. Pour un premier projet, tu as peu de chances de te retrouver en galère de logistique.
À pied :
- Marche moyenne : 20–25 km/jour → 30 à 35 jours de marche.
- Les deux gros morceaux : les Pyrénées au départ, puis les bosses en Galice.
- En haute saison (mai–septembre), c’est blindé. Ambiance garantie, calme relatif.
À vélo, c’est probablement le plus adapté :
- Beaucoup de sections sont cyclables en VTT ou gravel sans problème.
- Quand le sentier est trop technique ou saturé de marcheurs, tu passes sur la route parallèle (souvent très tranquille).
- Albergues et hébergements acceptent la plupart du temps les vélos (à vérifier en saison haute).
En rythme cyclo-rando classique :
- 60–80 km/jour → 10 à 14 jours.
- Certains avalent le Camino en 6–7 jours, mais tu passes alors ton temps à rouler sans profiter.
Pour une première expérience à vélo, c’est l’option la plus simple : logistique facile, variantes route évidentes, beaucoup de retours d’expérience disponibles.
Camino del Norte : plus sauvage, plus physique
Tracé : Irun → San Sebastián → Bilbao → Santander → Gijón → Ribadeo → Santiago
Distance : environ 830 km
Profil : succession de petites côtes, rarement plat
Ici, tu suis globalement la côte cantabrique, mais sans rouler sur une promenade touristique bien lisse. C’est joli, mais ça se mérite.
À pied :
- Étapes un peu plus longues pour relier les hébergements parfois espacés.
- Montées/descentes fréquentes, fatigue qui s’accumule différemment qu’en Castille plate.
- Moins de monde que sur le Francés, sauf autour des grandes villes et en plein été.
À vélo :
- Ça grimpe tout le temps. Rien de monstrueux, mais jamais vraiment de répit.
- Routes côtières parfois circulantes, surtout en haute saison.
- Il faut aimer les profils en dents de scie : 1500 à 2000 m D+ sur 80 km ne sont pas rares.
C’est un parcours intéressant si tu veux un Camino plus sportif, avec vue mer régulièrement. Mais à vélo chargé, ce n’est pas la voie la plus simple pour débuter.
Via Turonensis (Paris/Tours) : roulante et moins fréquentée
Tracé type : Paris → Chartres → Tours → Poitiers → Bordeaux → Dax
Distance Paris–Saint-Jean-Pied-de-Port : autour de 1 050–1 100 km (suivant les variantes)
Cette voie est moins « spectaculaire » mais souvent plus facile à gérer à vélo :
- Beaucoup de sections sur petites routes calmes, parfaites pour le vélo de route ou de rando.
- Relief globalement modéré avant d’attaquer le Sud-Ouest.
- Possibilité de combiner une partie avec des véloroutes existantes (Loire à Vélo, etc.).
À pied, ça marche, mais l’ambiance « Compostelle » est plus diffuse que sur la Via Podiensis. Moins de pèlerins, plus de marcheurs « classiques » par tronçons.
À vélo, au contraire, c’est très cohérent :
- Étapes type : 70–100 km/jour sans chercher la performance.
- Traversée de grandes villes (Tours, Poitiers, Bordeaux) faciles à rejoindre en train si tu veux raccourcir.
Si tu pars du Nord ou de l’Île-de-France et que tu veux éviter le train avec ton vélo, c’est une option logique pour rejoindre l’Espagne à la force des mollets.
Via Tolosana (Arles) : pour ceux qui aiment le Sud et la montagne
Tracé : Arles → Montpellier → Toulouse → Auch → Oloron-Sainte-Marie → col du Somport → Jaca
Distance : environ 800–900 km jusqu’au Somport, plus si tu poursuis en Espagne sur le Camino Aragonés.
Ici, tu passes par le Sud méditerranéen puis le piémont pyrénéen, avant de basculer en Aragon côté espagnol.
À pied :
- Chemin moins fréquenté que la Via Podiensis : bon pour ceux qui cherchent le calme.
- Logistique d’hébergement un peu plus à anticiper, surtout hors saison.
- Traversée des Pyrénées par un col routier (Somport), moins brutal que le passage par Roncevaux à pied.
À vélo :
- Itinéraire cohérent sur route ou en mix route/pistes.
- Le col du Somport est long mais régulier, idéal en vélo de rando.
- Ensuite, tu rejoins le Camino Francés via Puente la Reina.
Pour un voyage à vélo au long cours en partant du Sud-Est ou de l’Italie, c’est une porte d’entrée intéressante, avec une belle variété de paysages (Camargue, piémont, Pyrénées, Aragon).
Via Lemovicensis (Vézelay) : variante plus discrète
Tracé : Vézelay → Limoges → Périgueux → Bergerac → Pays basque
Distance : 900–1 000 km selon les variantes
C’est un chemin plus confidentiel, qui traverse la France intérieure. Bien balisé mais moins fréquenté.
À pied :
- Bon choix si tu veux éviter l’effet « autoroute de pèlerins ».
- Plus de solitude, mais aussi plus d’anticipation sur les hébergements.
À vélo :
- Itinéraire intéressant en gravel ou VTC, avec beaucoup de petites routes tranquilles.
- Profil vallonné, mais rarement extrême.
C’est une voie à envisager si tu pars de Bourgogne, du Centre ou de l’Est, et que tu veux rejoindre le Pays basque en mode plus discret.
À pied ou à vélo : comment trancher vraiment ?
Au-delà du tracé, le vrai choix c’est : tu veux vivre ce chemin comment ?
À pied, c’est pour toi si :
- Tu peux dégager 1 à 2 mois.
- Tu acceptes de vivre à 4–5 km/h, avec un rythme très répétitif (lever – marcher – manger – dormir).
- Tu veux une immersion lente, avec le temps de discuter avec d’autres pèlerins.
- Tu préfères la simplicité : un sac, de bonnes chaussures et c’est parti.
À vélo, c’est cohérent si :
- Tu as moins de temps (2–3 semaines) pour relier une longue distance.
- Tu aimes jouer avec le relief et enchaîner les kilomètres.
- Tu as déjà un peu d’expérience de vélo chargé (ou tu es prêt à apprendre sur le tas).
- Tu es plus à l’aise pour t’éloigner du tracé officiel si c’est plus logique à vélo.
Le chemin n’est pas plus « vrai » à pied qu’à vélo. Il est juste différent. Par contre, certains tronçons sont vraiment mal adaptés au vélo, et vouloir absolument « coller » au GR est souvent une erreur qui transforme le trip en corvée.
Quel chemin pour quel profil ?
Quelques cas concrets, pour t’aider à te situer.
1. Premier grand voyage à vélo, 2 semaines de dispo
- Option simple : Camino Francés intégral à partir de Saint-Jean-Pied-de-Port.
- Rythme : 60–80 km/jour, avec 1 ou 2 jours de pause (Burgos, León).
- Type de vélo : VTT, VTC ou gravel avec pneus en 40 mm ou plus.
2. Marcheur débutant, 10–15 jours de rando
- Option : une portion de la Via Podiensis (ex : Le Puy → Conques ou Le Puy → Cahors).
- Distance : 200 à 350 km, selon ton rythme.
- Intérêt : très bonne logistique, possibilité de rentrer en train facilement.
3. Cycliste qui veut partir de chez lui (Nord/Île-de-France)
- Option : rejoindre la Via Turonensis, descendre jusqu’à Dax / Bayonne, puis rejoindre Saint-Jean ou Irun.
- Terrain : majoritairement route calme, parfait pour vélo de rando ou route costaud.
4. Amateur de relief, peu attiré par les grandes foules
- À pied ou à vélo : regarder du côté de la Via Tolosana + col du Somport + Camino Aragonés.
- Ambiance : plus montagne, plus sauvage, moins d’infrastructures.
Surfaces, météo, saisons : ce que ça change
Surfaces :
- France : beaucoup de chemins agricoles, sentiers forestiers, petites routes.
- Espagne (Camino Francés) : pistes de terre ou de gravier, parfois caillouteux, + bitume.
- Le vélo de route pure est possible, mais en traçant toi-même un itinéraire parallèle.
Météo/saisons :
- Avril–mai : bon compromis, mais attention à la neige résiduelle sur les Pyrénées.
- Juin : top, mais déjà très fréquenté sur le Camino Francés.
- Juillet–août : chaleur forte (Meseta, Sud-Ouest), sur-fréquentation et prix en hausse.
- Septembre–octobre : idéal pour la météo en Espagne, hébergements encore ouverts.
À vélo, tu gères mieux les canicules (tu crames quand même, mais tu avances plus vite entre deux points d’eau). À pied, la chaleur peut vite transformer une journée en galère, surtout sur les sections très ouvertes.
Un mot sur le matériel, côté vélo
Je ne détaille pas toute la liste ici, mais pour ce type de projet :
- Vélo : VTT / VTC / gravel costaud, transmission fiable, braquets courts (type 34×34 mini).
- Pneus : 40–47 mm, polyvalents route/piste. Gonflés raisonnablement (ni béton, ni flan mou).
- Portage : sacoches bikepacking ou porte-bagages + sacoches classiques. Évite le gros sac à dos sur le dos sur 800 km.
- Freins : à disque si possible, surtout si tu fais des étapes montagneuses chargé.
Côté marche, même logique : ne pas surcharger. Sur Compostelle, tous ceux qui partent à 15 kg finissent en général par renvoyer la moitié du sac à la maison.
Comment finaliser ton choix, concrètement
Pour ne pas rester bloqué à l’étape « rêverie devant la carte » :
- Prends une carte (ou un site type OpenCycleMap, Géoportail, etc.).
- Place ton point de départ réaliste (chez toi, ou une gare accessible).
- Trace jusqu’à un des grands chemins : Podiensis, Turonensis, Tolosana…
- Découpe ton projet en temps disponible : X jours en France + Y jours en Espagne.
- Prévois un plan B : raccourci en train, variante route si le terrain est pourri, etc.
Le meilleur chemin, ce n’est pas celui qui est « le plus authentique » sur le papier. C’est celui que tu peux vraiment faire, avec ton niveau, ton matos et ton calendrier, sans te dégoûter du voyage au bout de 4 jours.
Si tu hésites encore entre deux voies, un bon compromis est de tester 4–5 jours sur un tronçon accessible proche de chez toi (à pied ou à vélo), voir comment tu encaisses les journées, et ajuster ton projet global ensuite. Compostelle sera toujours là l’année suivante.