Faire le chemin de Compostelle à pied, c’est déjà un projet costaud. Le faire à vélo, c’est une autre histoire : plus rapide, oui, mais pas forcément plus simple. Entre les choix d’itinéraires, le type de vélo, le poids des sacoches et la gestion de l’effort sur plusieurs jours, il y a de quoi se planter si on part à l’aveugle.
Dans cet article, on va rester concret : quels parcours choisir selon ton niveau, comment te préparer (physiquement et logistiquement) et quel vélo/matos emmener pour ne pas finir en taxi-baleine avec le vélo sur le toit.
Quel parcours choisir pour Compostelle à vélo ?
Première question à régler : d’où tu pars, où tu veux arriver… et en combien de temps. La plupart des cyclistes visent Saint-Jacques-de-Compostelle via Saint-Jean-Pied-de-Port, mais il y a plusieurs “chemins de Compostelle” possibles côté français.
Les principaux itinéraires :
1. La Via Podiensis (GR65) : du Puy-en-Velay à Saint-Jean-Pied-de-Port
C’est la plus célèbre côté français. À pied, c’est splendide. À vélo, ça se complique un peu.
- Distance : ~750 km jusqu’à Saint-Jean-Pied-de-Port
- Dénivelé cumulé : autour de 12 000 à 14 000 m selon les variantes
- Terrain : beaucoup de chemins, du caillou, de la terre, des pistes parfois grasses, quelques sections techniques
- Type de vélo : VTT ou gravel costaud, pneus minimum 40 mm, mieux si 45-50 mm
Tu peux suivre le balisage du GR65, mais certaines portions ne sont pas adaptées à un vélo chargé (pentes raides, marches, pierriers, zones boueuses). Beaucoup de cyclistes alternent entre :
- les chemins balisés quand c’est roulant
- les petites routes parallèles quand le chemin devient un piège à chevilles… et à rayons
2. La Voie de Tours (Via Turonensis)
Point de départ possible : Paris, Orléans, Chartres, Tours, Poitiers, Bordeaux…
- Distance Paris – Saint-Jean-Pied-de-Port : ~900 km
- Dénivelé : plus doux que la Via Podiensis, relief progressif
- Terrain : beaucoup de route, chemins souvent plus roulants
- Type de vélo : vélo de randonnée, gravel ou VTC équipé, pneus 35–40 mm recommandés
C’est une bonne option si tu préfères rouler plutôt que porter le vélo dans les cailloux. Moins “carte postale” que le Puy-en-Velay – Aubrac – Conques, mais plus simple à gérer à vélo chargé.
3. La Voie d’Arles (Via Tolosana)
Itinéraire sud : Arles – Montpellier – Toulouse – Auch – Oloron – Somport – Espagne.
- Distance Arles – Puente la Reina (Espagne) : ~800 km
- Dénivelé : costaud à partir des Pyrénées (col du Somport, 1 632 m)
- Terrain : alternance routes / chemins, globalement plus calme côté trafic que certaines zones de la Voie de Tours
Intéressant si tu viens du sud-est ou si tu veux éviter l’encombrement autour du Puy-en-Velay. Attention aux chaleurs dans le sud au printemps avancé et en été.
4. Le Camino Francés (Espagne) : Saint-Jean-Pied-de-Port – Saint-Jacques-de-Compostelle
C’est la “colonne vertébrale” de Compostelle côté espagnol.
- Distance : ~780 km
- Dénivelé : ~10 000 m
- Altitudes clefs : col de Lepoeder / Ibañeta, Montes de León, O Cebreiro
- Terrain : alternance de pistes, chemins empierrés, chemins agricoles, routes secondaires
À vélo, tu as deux stratégies :
- suivre le chemin pédestre au plus près (plus joli, mais parfois très cassant)
- privilégier les routes secondaires parallèles (plus rapide, moins de casse, mais tu perds un peu le “fil” du chemin)
Quel itinéraire pour quel profil ?
- Débutant en voyage à vélo (mais déjà un peu de jambes) : Voie de Tours + Camino Francés en utilisant majoritairement les routes secondaires.
- Habitué au VTT / gravel et aux chemins : Via Podiensis (Le Puy) + Camino Francés en mixant chemins et routes.
- Temps limité : trajet en train ou car jusqu’à Saint-Jean-Pied-de-Port, puis Camino Francés uniquement (10 à 14 jours de selle selon ton rythme).
Combien de kilomètres par jour prévoir ?
À pied, on parle souvent de 20–25 km/jour. À vélo, les chiffres grimpent vite… sur le papier. En vrai, avec sacoches, relief, chaleur et chemins, ça change.
Ordres de grandeur réalistes pour un voyage de 1 à 3 semaines :
- Profil tranquille : 50–70 km/jour, D+ 500–1000 m
- Profil intermédiaire : 70–100 km/jour, D+ 800–1500 m
- Profil costaud / habitué au bikepacking : 100–130 km/jour, D+ 1200–2000 m
Deux points importants :
- Les jours s’enchaînent : ce que tu encaisses un jour devient plus dur au 6e ou 8e jour si tu dors mal ou manges mal.
- Le terrain compte plus que le kilométrage : 70 km sur des pistes caillouteuses avec 1200 m D+ valent parfois plus qu’un 110 km roulant sur route.
Si c’est ton premier voyage, vise plutôt court au début (50–70 km) et ajuste après 3–4 jours si tu vois que tu as de la marge.
Comment se préparer physiquement ?
Pas besoin d’être coureur FFC, mais partir de zéro direct sur 10 jours de Compostelle, ce n’est pas une bonne idée. L’objectif, c’est d’habituer le corps à :
- enchaîner les heures de selle
- supporter la position prolongée
- gérer les efforts en bosse avec un vélo chargé
4 à 8 semaines avant le départ (minimum) :
- 2 à 3 sorties/semaine : 1 h 30 à 3 h, en augmentant petit à petit la durée.
- Inclure une sortie avec du dénivelé (400–800 m D+) chaque semaine.
- Tester au moins 2 sorties avec le vélo chargé (ou avec du poids simulé) pour voir comment il se comporte en bosse et en descente.
Points à surveiller pendant ta préparation :
- Douleurs aux genoux : souvent un problème de position (hauteur de selle, recul) ou de braquets trop durs.
- Douleurs aux mains / poignets : potence trop longue, cintre mal réglé, pression pneus trop élevée.
- Fesses : cuissard inadapté, selle mal choisie ou mal réglée. Mieux vaut le découvrir près de chez toi que dans une montée vers O Cebreiro.
Préparation logistique : hébergement, bagages, budget
Hébergement
Sur le Camino Francés, il y a une grosse densité d’albergues (auberges de pèlerins) et d’hébergements privés. Côté France, c’est plus variable.
- Albergues / gîtes pèlerins : peu chers (10–20 € environ), ambiance conviviale, parfois “premier arrivé, premier servi”.
- Campings : intéressants l’été, mais plus rare sur certains tronçons.
- Hôtels / chambres d’hôtes : plus confortables, plus chers, mais permettent de mieux récupérer.
Décide avant de partir si tu roules :
- avec tente (autonomie, mais +2 à 3 kg de matos minimum)
- ou en dur (plus léger, mais dépendant des hébergements disponibles)
Budget
Ça dépend beaucoup de ton style :
- Mode “pèlerin modeste” (gîtes, cuisine, peu de restos) : 30–40 €/jour.
- Mode “confort” (hébergement privé, restos plus fréquents) : 50–80 €/jour.
Transport aller/retour
Ce qui coince souvent, c’est le retour depuis Saint-Jacques-de-Compostelle :
- Train + train de nuit + TGV : faisable mais il faut vérifier les règles de transport vélo (désossé en housse ou vélo monté, réservation, etc.).
- Bus longue distance : certaines compagnies acceptent les vélos démontés en housse.
- Avion : possible, mais il faut démonter/protéger le vélo, et accepter le risque “bagagistes”.
Prévois le retour avant de partir, au moins dans les grandes lignes. Finir ton chemin et découvrir que tu es coincé 3 jours sur place, ça peut plomber le moral.
Quel vélo pour Compostelle ?
La bonne nouvelle : pas besoin d’un vélo exotique. La vraie question, c’est surtout où tu comptes rouler :
1. 80–100 % route / petites routes
- Vélo de randonnée / trekking : idéal si déjà équipé de porte-bagages, avec braquets faciles (type 34×34 ou 34×36 minimum).
- Gravel : convient très bien, surtout avec pneus en 35–40 mm et œillets pour porte-bagages ou sacoches de bikepacking.
- VTC costaud : pourquoi pas, si transmission et freins sont en bon état.
2. Mix routes / chemins (option la plus répandue)
- Gravel avec pneus 40–45 mm : bon compromis confort/rendement.
- VTT semi-rigide : confortable, passe partout, mais un peu moins rapide sur route. Tu peux monter des pneus roulant type 2.0–2.1”.
3. 80 % chemin “vrai” GR
- VTT recommandé. La fourche suspendue n’est pas obligatoire mais appréciable sur les jours où ça tabasse.
Ce qui compte vraiment sur le vélo :
- Braquets faciles : si tu dois forcer en danseuse au moindre pourcentage avec 12 kg de sacoches, tu vas user genoux et moral. Vise un petit développement autour de 22–24×34/36/40 en VTT, ou 34×34/36 en gravel/route.
- Freins fiables : les disques (mécaniques ou hydrauliques) sont un gros plus, surtout chargé dans les descentes longues.
- Position confortable : on oublie la position de chrono, on relève un peu le poste de pilotage, on met une potence adaptée, on ajuste soigneusement la selle.
Choix des sacoches et organisation du chargement
Deux grandes écoles : le bikepacking (sacoches fixées au cadre/selle/cintre) et les sacoches classiques sur porte-bagages.
Sacoches classiques (porte-bagages arrière, parfois avant) :
- Plus faciles à organiser
- Capacité importante
- Moins sensibles à un mauvais montage
- Un peu moins maniables sur terrain technique
Bikepacking :
- Plus léger, plus compact
- Idéal si tu roules beaucoup sur chemins et sentiers étroits
- Demande un peu plus de discipline pour ranger/comprimer le bazar tous les matins
Poids cible (hors vélo) :
- Sans tente, sans cuisine : viser 6–9 kg de bagages.
- Avec tente + duvet + matelas + popote : 10–14 kg si tu fais attention.
Répartition simple :
- Sacoche de selle / arrière : vêtements, duvet (si tu en as un), affaires légères.
- Sacoche de cadre : outils, nourriture dense, objets lourds au centre pour la stabilité.
- Sacoche de cintre : tente ou duvet, vêtements volumineux.
- Petite sacoche de guidon : papiers, téléphone, crème solaire, encas.
Liste de matériel utile (testé sur le terrain)
Indispensable pour le vélo :
- Multitool avec dérive-chaîne
- 2 chambres à air + rustines + colle + démonte-pneus
- Mini-pompe fiable
- 2 démonte-obus et au moins 4 colliers rilsan
- Patte de dérailleur de rechange (si spécifique)
- Quelques maillons rapides compatibles avec ta chaîne
- Une petite burette d’huile pour chaîne (surtout s’il pleut ou si tu roules dans la poussière)
Vêtements (pour 10–15 jours) :
- 2 cuissards (un sur toi, un qui sèche)
- 2 maillots / t-shirts techniques
- 1 sous-couche manches longues légère
- 1 polaire ou doudoune légère compressible
- 1 veste imper-respirante correcte (pas un K-way de supermarché)
- 1 cuissard ou collant long si tu pars hors saison
- 1 short + t-shirt “civil” pour l’étape
- 3 paires de chaussettes, 2 sous-vêtements
Le reste, à ne pas zapper :
- Sac de couchage léger (si albergues non fournies en couvertures ou si tu campes)
- Bouchons d’oreilles (collocations bruyantes garanties dans certains dortoirs)
- Frontale ou petite lampe
- Crème solaire + stick lèvres
- Trousse de secours minimaliste (pansements, désinfectant, anti-douleur, traitement ampoules)
- Crème type “anti-frottements” pour l’entre-jambe
- Chargeur multi-ports + multiprise compacte si tu as plusieurs appareils
Nutrition et gestion de l’effort
Sur Compostelle, tu trouveras à manger tous les jours. Mais ça ne veut pas dire que tu peux rouler sans réfléchir à ce que tu mets dans le moteur.
Repères simples :
- Petit-déj : ne pars pas juste avec un café. Ajoute du pain, des céréales, des œufs si possible.
- Pendant l’effort : toutes les 45–60 min, quelque chose : fruit sec, barre, banane, sandwich. Mieux vaut grignoter que faire un gros repas d’un coup.
- Hydratation : 2 bidons sur le vélo, remplis dès que tu peux. En Espagne l’été, tu peux facilement boire 3–4 litres sur la journée.
- Après l’étape : priorité aux protéines (œufs, poulet, légumineuses) + glucides (pâtes, riz) pour refaire le plein.
N’attends pas d’avoir faim ou soif pour manger/boire. Un coup de fringale dans une montée exposée, avec 35 °C au compteur, ça te plombe la journée entière.
Erreurs fréquentes à éviter
- Partir avec un vélo non révisé : chaîne usée, câbles fatigués, pneus craquelés… Tu vas le payer au pire moment. Révision complète avant de partir.
- Changer trop de choses juste avant le départ : nouvelle selle, nouvelles chaussures, nouveau cintre… teste tout au moins 2–3 sorties avant.
- Surestimer ton niveau : aligner 110 km avec 2000 m D+ trois jours de suite, ce n’est pas la même chose qu’une sortie dominicale de 80 km à vide.
- Emporter trop de vêtements : tu peux laver ton linge tous les soirs. 2 jeux techniques suffisent largement.
- Ne pas regarder la météo : en montagne (Pyrénées, Galice), le temps peut tourner très vite. Adapter une étape pour éviter un orage, ce n’est pas “tricher”, c’est être malin.
- Ignorer les signaux du corps : douleur persistante au genou, engourdissements forts… parfois, s’arrêter ou raccourcir une étape évite d’abandonner trois jours plus tard.
Et maintenant, on y va ?
Le chemin de Compostelle en vélo, ce n’est pas un exploit réservé aux ultra-cyclistes. C’est un joli projet accessible, à condition de :
- choisir un itinéraire adapté à ton niveau (et à ton envie de chemins ou de route)
- préparer ton vélo et ton corps un minimum
- partir léger et organisé
- accepter d’ajuster le plan en route : une étape plus courte, une journée de pause, un détour par la route plutôt que par un sentier infâme
Si tu hésites encore sur le choix de ton parcours ou de ton vélo, commence simple : quelques jours sur une section française ou espagnole, en mode test. Tu verras vite ce qui te plaît, ce qui coince… et comment ajuster le tir pour la prochaine fois.
Parce que oui, souvent, il y a une prochaine fois.