Pourquoi découvrir la Corse à pieds ?
On parle souvent de la Corse comme d’une « montagne dans la mer ». À pieds, on comprend vite que ce n’est pas juste un slogan touristique. Entre les crêtes à plus de 2000 m, les lacs glaciaires, les forêts de pins larici et les criques accessibles uniquement par un sentier un peu raide, on a de quoi remplir quelques années de vacances rando.
À vélo, la Corse est déjà exigeante. À pieds, c’est pareil : dénivelé costaud, sentiers parfois techniques, météo changeante. Mais la récompense est à la hauteur. L’idée de cet article n’est pas de faire rêver, mais de te donner des itinéraires concrets, les bonnes saisons pour en profiter, et le matériel qui évite de finir rincé au bout de deux jours.
Les grandes traversées : pour ceux qui aiment accumuler les dénivelés
On commence par les classiques. Si tu veux vraiment « traverser » la Corse à pieds, tu tomberas forcément sur ces trois noms.
Le GR20 : la colonne vertébrale de l’île
Le GR20, c’est un peu l’équivalent du Paris-Brest-Paris pour les randonneurs : on en parle beaucoup, certains mythifient, d’autres détestent, mais ça reste une référence.
Données globales (Nord + Sud) :
- Distance : environ 180 km
- Dénivelé positif cumulé : 10 000 à 11 000 m (selon les variantes)
- Durée “classique” : 12 à 16 jours
- Altitude max : ~ 2600 m (Monte Cinto en variante, Pointe des Éboulis ~ 2607 m)
Caractère du sentier : ce n’est pas une simple « randonnée » pour promeneur du dimanche. Terrain minéral, pierriers, passages aériens, mains courantes, dalles. C’est souvent plus lent que ce qu’indiquent les panneaux si tu n’es pas habitué aux terrains alpins.
Nord vs Sud :
- GR20 Nord (Calenzana – Vizzavona) : plus technique, plus minéral, étapes plus courtes mais plus physiques.
- GR20 Sud (Vizzavona – Conca) : plus roulant, plus forestier, dénivelés toujours présents mais un peu plus « marchables ».
Si tu n’as qu’une semaine, le GR20 Sud est souvent plus accessible pour une première expérience en Corse à pieds.
Mare e Monti Nord : entre mer turquoise et villages perchés
Moins brutal que le GR20, le Mare e Monti Nord suit la côte nord-ouest entre Calenzana et Cargèse, en jouant le yo-yo entre mer et moyenne montagne.
- Distance : ~ 135 km
- Dénivelé positif : ~ 7000 m
- Durée : 7 à 10 jours
- Altitude max : ~ 1200 m
Ambiance : maquis, points de vue sur le golfe de Porto, passages dans les villages (Galeria, Porto, Serriera, Ota…). Moins minéral que le GR20, mais ça grimpe et ça descend tout le temps. La chaleur peut vite rendre ce parcours éprouvant, même si techniquement c’est abordable pour quelqu’un en bonne condition.
Avantage : plus de points d’eau et de ravitaillement que sur le GR20, possibilité de couper ou de raccourcir certaines étapes, pas mal de gîtes et chambres d’hôtes.
Les Mare a Mare : traverser l’île d’est en ouest
Les Mare a Mare (Nord, Centre, Sud) font la liaison entre les côtes est et ouest, en passant par l’intérieur. Idéal si tu veux voir autre chose que les crêtes du GR20.
Mare a Mare Nord (Moriani – Cargèse) :
- Distance : ~ 135 km
- Dénivelé positif : ~ 6500 m
- Durée : 7 à 10 jours
- Passage par Corte, Niolo, Vico…
Mare a Mare Centre (Ghisonaccia – Ajaccio) :
- Distance : ~ 80 km
- Dénivelé positif : ~ 3500 m
- Durée : 4 à 6 jours
- Ambiance plus douce, villages de moyenne montagne, chemins muletiers.
Mare a Mare Sud (Porto-Vecchio – Propriano) :
- Distance : ~ 70 km
- Dénivelé positif : ~ 3000 m
- Durée : 4 à 5 jours
- Très beaux passages forestiers, rivières pour se baigner, terrain moins technique.
Pour une première découverte de la Corse à pieds sur plusieurs jours sans se mettre dans le rouge, le Mare a Mare Sud coche pas mal de cases : paysages variés, étapes raisonnables, points d’eau fréquents.
Randos à la journée : les immanquables
Tu n’es pas obligé de partir 10 jours chargé comme un mulet pour profiter de la Corse. En logeant en dur (camping, gîte, location), tu as une série de randos à la journée qui valent vraiment le déplacement.
Les gorges de la Restonica et les lacs de Melo et Capitello
Point de départ classique : parking de la vallée de la Restonica, au-dessus de Corte (accès payant et parfois saturé en été).
- Lac de Melo : ~ 6 km A/R, +350 m D+, 2 à 3 h de marche
- Lac de Capitello : ~ 8 km A/R, +550 m D+, 3 à 4 h de marche
Sentier rocheux, quelques passages câblés, névés possibles jusqu’en début d’été selon l’année. Vue très alpine, loin de l’image « plage de carte postale ». En été, partez tôt, sinon c’est un vrai défilé.
Les aiguilles de Bavella : le grand classique du sud
Col de Bavella (versant Zonza), gros point de départ pour une série de boucles plus ou moins engagées.
Deux options intéressantes :
- Boucle des Aiguilles (variante alpine balisée en jaune) : ~ 6 à 7 km, +400 m D+, 3 à 4 h. Quelques passages où il faut poser les mains, un peu exposé pour les personnes sujettes au vertige.
- Trou de la Bombe (U Tafonu di u Cumpuleddu) : ~ 6 km A/R, +200 m D+, 2 à 3 h, très fréquenté, sentier facile.
Par temps orageux, ça peut devenir vite hostile : orages violents, brouillard. Ne pas sous-estimer la montagne juste parce qu’on voit la mer au loin.
Les calanques de Piana : marcher entre mer et parois rouges
Point de départ : route entre Piana et Porto, plusieurs parkings et départs de sentiers (ex. sentier de Capo Rosso, sentier des Mulets).
- Capo Rosso : ~ 7 km A/R, +450 m D+, 3 à 4 h. Panorama énorme sur le golfe de Porto, lumière incroyable en fin de journée.
- Sentier des Mulets : balades plus courtes, mais avec de belles vues plongeantes sur les calanques.
Ici, le piège, c’est la chaleur et l’absence d’ombre. En plein été et en milieu de journée, ce n’est pas « un peu dur », c’est un four. Eau et couvre-chef obligatoires, vraiment.
Cap Corse : crêtes, tours génoises et villages
Le Cap Corse offre beaucoup de petites randos à la journée ou en demi-journée, souvent sous-estimées. Exemple d’itinéraires :
- Sentier des crêtes entre Luri et Tomino : ~ 12 km, +600 m D+, 4 à 5 h. Vues sur les deux versants du Cap, ambiance sauvage.
- Tour de Sénèque : boucle de ~ 5 km, +300 m D+, 2 h. Panorama à 360° sur le Cap et la côte est.
Terrain généralement sec, caillouteux, parfois très exposé au vent. À privilégier hors haute saison pour éviter la chaleur écrasante.
Quelle saison pour marcher en Corse ?
Comme pour le vélo, la question de la saison est centrale. En rando, ça se joue encore plus sur la météo et l’eau disponible.
Printemps (avril – début juin)
- Avantages : températures modérées, maquis en fleurs, journées déjà longues.
- Inconvénients : neige encore présente en altitude (GR20 souvent impraticable sans équipement et expérience alpine), certains refuges ou gîtes encore fermés en avril.
C’est une très bonne période pour les Mare a Mare, Mare e Monti, et les randos côtières. Pour le GR20, c’est souvent trop tôt, sauf pour les sections basses ou avec un guide.
Été (mi-juin – septembre)
- Avantages : tous les refuges et gîtes sont ouverts, journées longues, majorité des névés disparus.
- Inconvénients : chaleur très forte en dessous de 1500 m, orages en fin de journée possibles, sur-fréquentation sur GR20, Restonica, Bavella, Piana.
Sur le GR20, même en été, on peut avoir du mauvais temps : brouillard épais, pluie, vent fort sur les crêtes. En plaine, canicule. Il faut accepter de partir très tôt le matin, voire à l’aube, et de gérer sa consommation d’eau au litre près.
Automne (septembre – octobre)
- Avantages : mer encore chaude, températures plus douces, moins de monde, belles lumières.
- Inconvénients : risque d’épisodes pluvieux sérieux, jours qui raccourcissent, fermetures progressives des refuges mi-septembre à octobre.
Très bonne saison pour les randos à la journée, les traversées type Mare a Mare, et les étapes basses du GR20. Attention aux prévisions météo : en Corse, un épisode pluvieux peut vite transformer certains ravins en torrents.
Hiver (novembre – mars)
Randonnée en altitude très limitée, enneigement fréquent sur la haute chaîne, GR20 non recommandé sans expérience montagne hivernale (et souvent fermé officiellement). En revanche, les randos côtières du Cap Corse, de Balagne ou du sud sont possibles sur les belles journées.
Matériel conseillé pour randonner en Corse
Comme pour une longue sortie à vélo, le matériel fait la différence entre une journée « physique mais agréable » et une galère inutile. La grosse erreur classique en Corse : sous-estimer la chaleur, le terrain rocheux, et surestimer les points d’eau.
Chaussures et pieds
- Chaussures : tiges moyennes ou basses robustes, semelle type Vibram avec bon grip sur rocher. Poids raisonnable, mais pas des baskets de ville. Le terrain est abrasif, les pierres roulent facilement.
- Chaussettes : modèles techniques respirants (laine mérinos ou synthétique), au moins 2 paires pour alterner.
- Petite trousse « pieds » : pansements type Compeed, sparadrap, un peu de crème anti-frottement. Les ampoules, en Corse, arrivent plus vite que prévu avec la chaleur.
Sac à dos et portage
- Capacité : 20–30 L pour la journée, 35–45 L pour un itinéraire de plusieurs jours en refuge/gîte, 50–60 L si tu portes le bivouac complet.
- Ceinture ventrale : indispensable, il y a du dénivelé et les descentes sont parfois longues.
- Organisation : comme pour les sacoches vélo : poche dédiée à l’eau accessible, coupe-vent en haut, trousse de secours facilement atteignable.
Eau et gestion de l’hydratation
C’est LE point critique en Corse, surtout l’été.
- Prévois 2 à 3 L minimum pour une journée, souvent plus sur les sections exposées sans ravitaillement.
- Gourdes + poche à eau : pratique pour boire régulièrement sans s’arrêter.
- Pastilles de purification ou filtre : utile sur certains itinéraires où les sources ne sont pas garanties comme potables.
Ne pars jamais en misant uniquement sur une fontaine « supposée » ou une source marquée sur une vieille carte. En été, certaines sont sèches.
Vêtements : léger mais sérieux
- Haut : t-shirt respirant, une couche chaude légère (polaire fine ou mérinos), coupe-vent imperméable (type 2,5 ou 3 couches) même si la météo annonce beau.
- Bas : short de rando ou pantalon léger transformable, selon ta tolérance au soleil et aux ronces.
- Protection solaire : casquette ou chapeau, lunettes de soleil, crème solaire résistante à la transpiration.
Navigation et sécurité
- Cartes (papier ou appli) type IGN 1:25 000. Le balisage est globalement bon (GR, Mare e Monti, Mare a Mare), mais le brouillard et les intersections mal marquées existent.
- GPS ou appli sur smartphone avec traces téléchargées + carte offline. La 4G ne passe pas partout, loin de là.
- Téléphone chargé + batterie externe légère, surtout sur plusieurs jours.
- Petite trousse de secours : pansements, désinfectant, bande, traitement basique pour maux de tête et troubles digestifs.
Bivouac, refuges et logistique
En Corse, on ne plante pas sa tente n’importe où, n’importe comment. Entre réglementation, risque d’incendie et pression touristique, mieux vaut se renseigner en amont.
Refuges et gîtes
- GR20 : refuges gérés par le parc, réservation fortement recommandée voire obligatoire en saison. Possibilité de dormir en tente autour des refuges (bivouac réglementé).
- Mare e Monti / Mare a Mare : réseau de gîtes d’étapes, chambres d’hôtes, petits hôtels. En haute saison, réserver est prudent.
- Souvent possibilité de repas chaud et petit-déjeuner, parfois paniers pique-nique. Ne compte pas toujours sur une épicerie à proximité.
Bivouac
- Sur le GR20, bivouac autorisé uniquement à proximité des refuges officiels (zone délimitée).
- Hors GR, se renseigner auprès des mairies ou de l’office du tourisme local. Les incendies sont un vrai sujet, certains secteurs sont strictement interdits.
- Feu interdit quasi partout en été : réchaud gaz ou pas de cuisson.
Erreurs classiques à éviter
- Partir trop tard : démarrer une grosse montée plein sud à 11 h en juillet, c’est l’assurance de cuire. Objectif : être en mouvement dès 6–7 h sur les étapes exposées.
- Sous-estimer le terrain : 12 km avec +900 m D+ sur cailloux, ce n’est pas la même chose que 12 km sur sentier forestier lisse. Adapte tes horaires.
- Compter sur les autres : sur les itinéraires fréquentés, certains partent sans carte, sans eau suffisante, en baskets lisses. Ne fais pas partie de ce groupe-là.
- Faire l’impasse sur la météo : en montagne corse, les orages montent vite. Si le ciel noircit et le vent tourne, ne « tente pas le coup » sur une crête exposée.
Préparer son projet : choisir un itinéraire qui te ressemble
Avant de réserver le ferry, pose-toi deux questions simples :
- Combien d’heures de marche en dénivelé positif es-tu capable d’enchaîner plusieurs jours d’affilée, sans te mettre dans le rouge ?
- Préféres-tu le côté « montagne » (rocher, crêtes, pierriers) ou le côté « mer et villages » (moyenne montagne, maquis, passages côtiers) ?
Quelques idées de combinaisons réalistes :
- 1 semaine « découverte » : Mare a Mare Sud + quelques randos à la journée (Bavella, plage + sentier côtier).
- 10 jours « montagnard » : tronçon Vizzavona – Conca du GR20 + Restonica ou Bavella.
- 2 semaines « mix mer/montagne » : Mare e Monti Nord + 2–3 jours autour de Corte (lacs, gorges).
L’idée n’est pas de cocher des cases, mais de rentrer avec l’envie de revenir, pas avec les genoux détruits.
La Corse à pieds, c’est comme un long brevet à vélo : si tu gères bien ton effort, ton hydratation et ton matériel, tu peux vraiment en profiter du premier au dernier jour. Si tu bâcles la préparation, c’est l’île qui te rappelle vite à l’ordre. Autant empiler les bons choix dès maintenant.